vendredi 11 juillet 2014

Nouveau codec Apple ProRes 4444 XQ


 Apple a annoncé une mise à jour de son codec ProRes avec une version de très haute qualité dénommée ProRes 4444 XQ (avec canal Alpha). Ce format a un débit très important, de l'ordre de 500 Mbps pour des sources en 4:4:4 en Full HD (1920x1080) et 29,97 fps. Ce débit est censé permettre de conserver la meilleure résolution possible en imagerie HDR (High-Dynamic Range), permise par les capteurs actuels. Ce codec est capable, toujours selon Apple, de fournir une dynamique plusieurs fois plus étendue que celle permise par le standard Rec. 709, grâce en particulier à un encodage sur 12 bits RGB tout en maintenant un ratio de compression très bas, 1:4,5 ce qui permet aussi de conserver tous les avantages du Log C en matière de reproduction des contrastes. Ceci est bien évidemment important en post-production, où la qualité de reproduction des rapports de contraste en basses et hautes lumière est particulièrement importante lorsqu'on travaille sur des effets complexes.
L'intérêt actuel de ce codec réside cependant dans sa prise en charge par les caméras Alexa XR et XT (mise à jour du firmware SUP10 prévue en août 2014).
Le tableau ci-dessous montre les versions ProRes disponibles avec SUP10 sur les caméras ALEXA XT et ALEXA Classic disposant du module XR. Les débits sont calculés pour 29,97 fps.


On peut voir aussi sur le graphe à barres ci-dessous comment les formats Apple ProRes se comportent en termes de débit en comparaison des formats non compressés (en full HD, 1920x1080 et 29,97 fps) :


Rappelons, pour terminer, que Apple ProRes est un codec à débit variable (VBR). Ceci  signifie que le nombre de bits utilisés pour coder chaque image dans un flux vidéo n'est pas constant mais qu'il peut varier au contraire d'une image à la suivante. C'est ainsi que, pour une certaine résolution d'image et un certain type de codec Apple ProRes, l'encodeur va chercher à réaliser un nombre de bits "cible" par image. En multipliant ce nombre par le nombre d'images par secondes, on obtient le débit pour un format Apple ProRes spécifique.
Apple ProRes est aussi un codec "intra-image" (intra-frame), autrement dit frame-independent : chaque image est encodée puis décodée indépendamment d'une autre.
On notera que le nombre de bits utilisés pour représenter chaque échantillon Y', Cb ou Cr (ou R, G ou B) détermine le nombre de couleurs que peut prendre chaque pixel indépendant. La "profondeur de  l'échantillonnage" détermine aussi la qualité du rendu des couleurs, particulièrement dans les dégradés (tel que le ciel pendant un coucher de soleil).  C'est pour cela qu'on est aujourd'hui amené à travailler sur des matériels d'acquisition d'images capables de coder sur 10 bits (en 4:2:2) et sur 12 bits (en 4:4:4) pour les applications demandant la résolution la plus élevée : cinéma numérique, effets spéciaux numériques...
Plus d'infos sur l'échantillonnage et la compression dans l'excellent article de Jean-Charles Fouché, sur le site Focus Numérique.

lundi 7 juillet 2014

Les intermittents du spectacle

Au fait, c'est quoi un "intermittent du spectacle" ? Peu de gens ont l'air de savoir qu'il s'agit de travailleurs embauchés en CDD, dans les métiers de l'audiovisuel et du spectacle vivant,et que le Code du travail a prévu à leur endroit quelques aménagements particuliers du régime général d'indemnisation du chômage, réunis dans les annexes 8 et 10  du même Code.
Pour avoir les idées claires sur ce qui se passe dans ce monde merveilleux de l'audiovisuel, il me semble indispensable, pour peu que l'on se sente concerné par le devenir de ces professions, de jeter au moins un coup d’œil sur deux ouvrages qui font le point sur ces questions : l'un de Mathieu Grégoire, intitulé Les intermittents du spectacle. Enjeux d'un siècle de luttes (La Dispute, 2013) et l'autre de Pierre-Michel Menger, Professeur à l'EHESS, et intitulé Les intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible (Ed. EHESS, 2011).
On voit de suite que l'angle choisi pour traiter la question dans ces deux ouvrages n'est pas le même : une perspective historique (M. Grégoire) pour tenter de comprendre l'origine et les évolutions d'une condition particulière du travail salarié, de l'autre (P-M. Menger) une analyse d'une exception sociale et culturelle énigmatique : l'hyperflexibilité contractuelle de l'emploi, assortie d'une assurance non moins flexible contre le chômage.

Il peut être intéressant de lire, justement, un entretien de Pierre-Michel Menger avec une journaliste du Monde, Anne Chemin, et dont je reproduis ici un paragraphe qui me parait être un résumé parfait de la condition de ces nouveaux ouvriers "à la tâche" de ce début du 21ème siècle :

"Le régime des intermittents du spectacle, qui s’applique à des activités «  par ­nature temporaires  », consacre la liberté totale de l’employeur : s’il est dans le périmètre sectoriel où s’applique le " CDD d’usage ", il n’a pas à expliquer les raisons pour lesquelles il propose un travail de trois heures, de trois jours ou de trois ­semaines, et il n’a aucune responsabilité à l’égard de la carrière des artistes et des techniciens qu’il emploie.
Dans le monde du travail, c’est une asymétrie employeur-employé que l’on ne retrouve nulle part ailleurs : le salarié contracte avec un employeur, mais ce dernier n’est tenu, à aucun titre, de renouveler ultérieurement le lien contractuel, d’assurer le suivi de carrière de son salarié, l’évolution de ses compétences, la gestion de sa retraite. Toutes ces questions sont transférées à des organismes ­sociaux qui prennent en charge la carrière individuelle des artistes et des techniciens. Les directeurs des ressources ­humaines du monde du spectacle, ce sont la caisse des congés payés, les organismes de retraite et l’assurance-chômage ! Dans ce secteur, la fonction d’employeur est " miniaturisée " : c’est une situation unique sur le marché du travail français.
Du côté du salarié aussi, la situation est très particulière : lorsque l’artiste ou le technicien a accumulé, à un rythme discontinu, 507 heures de travail sur une ­durée de dix mois ou de dix mois et demi, s’ouvre une période d’indemnisation qui est la partie la plus certaine de sa rémunération. Il en sort à chaque contrat et y ­retourne à chaque fin de ­contrat, ce qui génère une intrication ­totale entre le chômage et le travail. On ­atteint donc, pour le salarié, une hyperflexibilité assurantielle qui est le symétrique, pour l’employeur, de l’hyperflexibilité contractuelle. Une carrière réussie, dans le monde des intermittents du spectacle, ce n’est pas un emploi continu : c’est une succession, d’année en année, de contrats et de droits à ­indemnisation. L’indemnisation constitue donc un filet de sécurité avec des mailles aussi fines et souples que le système d’emploi lui-même."
(Propos recueillis par Anne Chemin, Le Monde, samedi 28 juin 2014)

A vrai dire,  j'aurais bien aimé entendre là-dessus l'avis des "anciens" Robert Castel et André Gorz, qui nous ont quitté il y a peu... Peut-être auraient-ils pensé que l'évolution du salariat qu'ils avaient entrevu était en train de se réaliser, avec comme éclaireur ce prétendu "statut" des intermittents du spectacle...